Cet excellent polar se lit d’une traite. Octobre 1936. L’inspecteur Korolev travaille à la section criminelle de la Milice de Moscou. Il enquête sur le meurtre sauvage d’une jeune femme dont le corps a été retrouvé dans une église et sur celui d’un « Voleur », qui a sans doute été torturé par la même personne avant de mourir. Pourquoi des mutilations aussi inhumaines ?
Korolev commence son enquête avec l’aide de son jeune collègue Semionov. Si leur chef, le général Popov, a confiance en eux et les soutient, d’autres personnages puissants qui suivent de près leurs investigations ont des intentions moins claires : le colonel Grigorine, du NKVD, la police politique, qui leur livre régulièrement des indices et leur demande de lui rendre compte directement des progrès de l’enquête ; l’écrivain Isaac Babel, relation de Grigorine qui permet à Korolev de rencontrer le comte Kolya, chef redouté des « Voleurs » de Moscou. Korolev comprend que tous sont à la recherche d’un objet d’une valeur inestimable qui a disparu et que chacun l’utilise comme un pion pour faire avancer ses intérêts. Mais cela ne l’empêchera pas de se retrouver dans les sombres sous-sols de la Loubianka, non pas à la place de l’interrogateur mais à celle de l’accusé.
Le premier intérêt du Royaume des voleurs est de mettre en scène un nouvel enquêteur très attachant. Korolev, 42 ans, a combattu lors de la Grande guerre et de la guerre civile. Il oeuvre pour la justice dans un monde en décomposition. Il n’abuse pas de son pouvoir dans ses relations avec autrui, en particulier les femmes. Il ne sait pas toujours sur quels collègues il peut vraiment compter mais parvient à se faire des alliés des enfants des rues (qui se nomment avec humour les « Irréguliers de Baker Street », en référence aux enfants qui aident parfois Sherlock Holmes). Le binôme qu’il forme avec Semionov ressemble – mais en apparence seulement – aux duos classiques qui, depuis Holmes et Watson, font la marque du roman d’énigme. Korolev a foi dans le régime communiste, mais cache une bible sous son plancher.
Un second intérêt du roman est de plonger le lecteur dans le quotidien terrifiant de l’URSS de 1936 (qui n’est pas sans évoquer l’ambiance oppressive de l’excellent Rectificateur de Jeffery Deaver, qui se déroule aussi en 1936 mais à Berlin, et l’ambiance de certains polars de Philip Kerr). Un quotidien fait de restrictions, de dénonciations permanentes, où « Etre un bon communiste, par les temps qui couraient, c’était comme obéir à un dieu despotique qui vous demandait de croire un jour que le blanc était blanc, et noir le lendemain » (page 120).
Un autre intérêt du roman est d’introduire le lecteur dans le monde des « voleurs » de l’URSS communiste. Ces mafieux au code de l’honneur strict, aux tatouages qui servent de curriculum vitae, parvenaient à une certaine cohabitation avec les autorités soviétiques, en particulier dans les goulags où ils assuraient l’ordre en échange de certains privilèges.
On espère retrouver Korolev dans d’autres aventures et découvrir comment il évoluera sur tous les plans : sentimental, professionnel et « politique ». Deux autres épisodes sont déjà prévus. On peut aussi espérer des traductions prochaines d’autres polars se déroulant dans la Russie soviétique (voir aussi notre billet La Russie dans le roman policier historique).
Pour qui souhaite en savoir plus sur cette époque, Ryan fait figurer en fin d’ouvrage une bibliographie intéressante.
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