La Chine antique, l’Egypte, le Moyen Age: les polars historiques remontent les siècles et les civilisations en nouant des intrigues bien ficelées et une documentation sérieuse. Un genre qui rencontre un succès certain.
Le roman policier historique a sa bible. On la doit à Jean-Christophe Sarrot et à Laurent Broche, qui, il y a trois ans déjà -mais, comme chacun sait, un bon livre d’histoire ne vieillit pas- nous ont offert une magistrale histoire du genre. Ils l’ont défini et daté. Ils en ont inventorié les variations et ils nous en ont fait comprendre les ressorts. Ils ont recueilli les intentions des auteurs et mesuré les bonnes ou mauvaises fortunes éditoriales. Ils ont apprécié l’engouement que le genre suscitait chez les lecteurs et regretté la condescendance des critiques. Ils ont analysé, enfin, les relations que le roman policier historique entretient avec l’histoire tout court.
A qui doit-on donc, à strictement parler, l’invention du roman policier historique? Aux Chinois. C’est, en effet, en Chine, au XVIIIe siècle, qu’est publié un roman anonyme, Trois affaires criminelles résolues par le juge Ti. Le texte répond à la définition du roman policier historique, c’est-à-dire « un récit policier imaginaire, situé dans un passé antérieur à la vie de l’auteur ». L’action se déroulant dix siècles avant la rédaction, le compte est bon. Une énigme criminelle, un enquêteur sagace, un dépaysement dans le temps, le genre « polar historique », dans sa version « whodunit » du moins, est né. C’est à Robert Van Gulik que l’on doit la découverte de ce texte, qu’il traduit en anglais et publie en 1949. C’est à Christian Bourgois et à Jean-Claude Zylberstein qu’il revient de l’avoir édité en français et d’avoir inauguré avec lui la collection Grands Détectives qui est à la littérature policière historique ce que la Pléiade est à la littérature tout court.
Plus près de nous, on peut aussi chercher, sinon des inventeurs du genre, du moins des précurseurs. Le roman de Balzac Une ténébreuse affaire, écrit en 1841, avec son complot et son intrigue policière sous l’Empire, peut-il être retenu comme inaugurant le genre? Les aventures et les enquêtes du brigadier Gérard, agent secret de Napoléon, que Conan Doyle invente, sont-elles à ranger dans la catégorie des policiers historiques? Le livre d’Agatha Christie La mort n’est pas une fin, une énigme policière dans l’Egypte de la XIe dynastie, il y a donc quatre mille ans, semble bien répondre à la définition. D’autres auteurs encore, selon Jean-Christophe Sarrot et Laurent Broche, peuvent prétendre avoir commis des romans policiers historiques, mais ces derniers estiment, non sans arguments, que la véritable naissance du genre, dans sa définition stricte, est, somme toute, plus récente. Ils le voient se déployer dans les années 1980, en une double réaction: d’une part, à une tendance du roman policier proprement dit, et, d’autre part, à un besoin que la littérature historique ne satisferait pas complètement.
Les années 1980 voient, en effet, le développement de l’école dite du « néopolar ». Dans le sillage des révoltes de Mai 68, le roman policier devient le roman noir des injustices et des violences sociales contemporaines. Le néopolar, font remarquer les auteurs, peut, certes, ne pas « être indifférent au passé ». « Mais c’est au passé récent qu’il s’intéresse, un passé qui lui sert surtout à éclairer les fondements inégalitaires de nos sociétés. » Polar de révolte et d’indignation, roman noir du temps présent, le genre n’est certes pas épuisé, mais, en s’essoufflant, peut-être a-t-il provoqué l’émergence du polar historique avec ce qu’il promet de « retour à l’évasion », de « héros positifs » et de « bonheur de lecture ».
L’histoire renouvelant le polar, le polar aurait-il, en retour, cette vertu de renouveler le goût de l’histoire? Ce goût est, en France, assez vif. Une certaine production académique, toutefois, n’est pas faite pour le satisfaire pleinement. L’histoire du temps long, celle des structures, et les dogmes stigmatisant l’histoire politique, tenant pour peu les biographies des « hommes illustres », ont beaucoup fait pour oublier que « l’histoire » c’est aussi des « histoires » et qu’à les raconter on enchante. Plus près de nous, les tendances à faire l’histoire de l’histoire, à théoriser sur les pratiques du métier d’historien, à substituer au récit historique un discours sur la méthode, si elles contribuent à enrichir la discipline, peuvent conduire aussi les amateurs au découragement. Aussi bien, le roman policier historique ne vient-il pas à propos pour nous reposer d’une historiographie vétilleuse et pour nous réconcilier avec les plaisirs simples de l’évocation des temps passés ?
Article « Les origines du polar historique », par Marc Riglet, dans le magazine Lire du mois de juin 2012.
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