La Russie offre au roman policier historique un champ à cultiver aussi vaste que le territoire qui s’étend de l’Oural à la Sibérie. Si le roman d’espionnage et le thriller s’intéressent à l’époque contemporaine, le polar historique plonge dans des époques plus anciennes. Passons en revue quelques beaux romans et belles séries.
La série d’Artem le Boyard d’Elena Arseneva met en scène un conseiller du prince Vladimir, au début du XIe siècle. Publiées il y a plusieurs années dans la collection « Grands détectives », les enquêtes d’Artem se lisent d’une traite. Elles sont menées à un rythme rapide, fourmillent de personnages originaux et font découvrir avec bonheur la Russie d’il y a dix siècles.
Plus près de nous, trois autres séries, toujours publiées chez les « Grands détectives ».
R.N. Morris ressuscite Porphyre Pétrovitch, le juge d’instruction de Crime et châtiment, dans des enquêtes qui se déroulent dans les années 1860-1870.
Boris Akounine a donné naissance à un détective qui a gagné une renommée mondiale en quelques enquêtes : Eraste Pétrovitch Fandorine. Il apparaît en 1876 dans Azazel. En mai 1876, dans un parc de Moscou, un étudiant en droit se suicide devant une jeune fille qu’il ne connaît pas. Le commissaire Grouchine confie l’affaire à un nouveau venu dans son service, Eraste Fandorine. Fandorine découvre que la victime s’est tuée à la suite d’un défi avec Akhtyrtsev, un autre étudiant, et qu’il lègue une belle fortune à une Anglaise qui a créé un orphelinat très particulier. Fandorine retrouve Akhtyrtsev, qui commence à se confier à lui lorsqu’un inconnu les poignarde en murmurant « Azazel ». Au fil de la série, on suit les transformations de Fandorine. Le rythme enlevé du récit et les rebondissements incessants n’empêchent pas une grande profondeur dans la description des personnages et de la société tsariste.
Fandorine est un des héros de séries policières historiques dont l’attitude par rapport au pouvoir politique est des plus franches, parce la vie l’a brutalisé dès sa première enquête avec la disparition brutale de sa fiancée. Il n’agit pas pour le régime tsariste, mais pour son pays et ses compatriotes. Il estime que pour que la Russie aille mieux, le plus important n’est pas que le régime politique change, mais que les hommes changent d’abord à l’intérieur d’eux-mêmes. Il se déclare ainsi adversaire de la démocratie, car il estime que le pays n’y est pas prêt. Sa liberté d’esprit le conduit à refuser une promotion dans la police de Moscou, à démissionner et à devenir détective indépendant, en Russie et à l’étranger.
« [Fandorine] pratique les quatre vertus que Tchekhov semblait considérer comme l’unique espoir de la Russie, écrit Leon Aron (voir « A Private Hero for a Privatized Country ») : la décence, la dignité, la compétence et l’ardeur au travail. Fandorine aime son travail et l’exécute brillamment ; il traite les autres en fonction de leurs capacités et de leur effort, non pas de leur rang. Au milieu de la corruption, Fandorine refuse les pots de vin à plusieurs reprises. Là où gouvernants et gouvernés contournent les lois, il les respecte scrupuleusement. Entouré par la vulgarité, il fait preuve d’un goût raffiné. Mais surtout, Fandorine place la liberté individuelle aussi haut que Tchekhov. »
Pélagie est une autre enquêtrice née de l’imagination féconde de Boris Akounine. Jeune nonne orthodoxe, petite et maigrichonne, elle vit à la fin du XIXe siècle en Russie et enseigne la littérature (ce qui ne plaît pas beaucoup à son entourage)… et la gymnastique.
Intéressons-nous à une dernière enquête qui prend la forme d’un thriller : Enfant 44, de Tom Rob Smith. L’action se situe fin 1953 en URSS. Un meurtrier en série tue de jeunes enfants. Leo Stepanovitch Demidov, agent du ministère de la Sécurité d’État, va affronter en quelques jours plusieurs crises qui vont mettre en péril sa vie et celle de ses proches. Il comprend que Raïssa, la belle femme qu’il a épousée il y a quelques années, ne l’aime pas. Parce que, malgré sa foi en la révolution soviétique, il ne se coule pas tout à fait dans le moule du fonctionnaire docile, il perd son poste dans la police et est exilé dans l’Est, comme simple milicien. Enfin, il découvre… qu’il n’est pas Leo Stepanovitch Demidov.
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